Actualités octobre 2024: De l’utilité des clauses limitatives de responsabilité à l’égard des tiers dans un contrat (qu’il soit international ou non)
- Rappel :
Depuis ses arrêts Bootshop (6 octobre 2006) et Sucrerie de bois rouge (13 janvier 2020, 17-19.963), la Cour de cassation reconnaît au tiers à un contrat la possibilité, sur le fondement de la responsabilité délictuelle :
- d’invoquer un manquement contractuel à l’encontre d’une partie à un contrat et lui demander réparation…
- … dès lors que le lien de causalité est établi entre le manquement contractuel de la partie mise en cause et le dommage subi par le tiers.
Tout en confortant ces principes, un nouvel arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 2024 (pourvoi n°21-14.947) vient néanmoins atténuer fortement les prétentions d’indemnisation des tiers, dès lors que des clauses limitatives de responsabilité figurent dans le contrat auquel il n’est pourtant pas partie.
Pour illustrer clairement le propos, revenons rapidement sur les faits ayant donné lieu à cette décision du 3 juillet 2024 :
- une société italienne (Aetna Group) avait confié, par contrat, le transport, la manutention et le déchargement de ses machines d’Italie en France à une société de transport française (la société Clamageran).
- les biens confiés ayant été endommagés lors de l’exécution du contrat, la société Aetna Group a déclaré le sinistre à son assureur italien (Itas Mutua) lequel l’a directement indemnisée.
- puis, la compagnie Itas Mutua, étant subrogée dans les droits de son assurée mais sans lien contractuel direct avec Clamageran, elle a assigné cette dernière (d’abord sur le fondement de la responsabilité contractuelle puis délictuelle) en paiement de dommages-intérêts à hauteur de 100.000 euros en invoquant une faute contractuelle de Clamageran dans le cadre de l’exécution du contrat.
- Pour sa défense, la société Clamageran invoque les clauses limitatives de responsabilité figurant au contrat initial pour s’opposer aux demandes d’indemnisation de la société Itas Mutua.
Décision de la Cour de Cassation : alors que la Cour d’appel de Paris déclare les clauses limitatives de responsabilité inopposables à l’assureur tiers, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel, au motif implicite de garantir une certaine « sécurité juridique » au contrat.
La Cour motive ainsi sa décision : « pour ne pas déjouer les prévisions du débiteur qui s’est engagé en considération de l’économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même, le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants ».
Il est difficile de dire ce que la Cour d’appel de renvoi décidera en l’espèce mais les prétentions indemnitaires de l’assureur italien à l’encontre de la société Clamageran risquent d’être considérablement réduites.
- Intérêt de cette décision
Le principal intérêt de cette décision est de souligner, sous un nouvel angle, l’utilité des clauses limitatives de responsabilité dans les contrats, qu’ils soient d’ailleurs de dimension internationale ou non.
On connaît déjà bien l’intérêt des clauses limitatives de responsabilité entre cocontractants, dont la validité est parfaitement admise (même si leur efficacité peut être, dans les faits, restreinte – même entre professionnels – notamment si elles privent de sa substance l’obligation essentielle du contrat ou créent un déséquilibre significatif).
Mais cette décision du 3 juillet 2024 a également le mérite de relever l’importance des cluses limitatives de responsabilité à l’égard des tiers.
En effet, en l’absence de telle clauses protectrices, la responsabilité du contractant défaillant peut être engagée non seulement par son cocontractant mais également par un tiers au contrat qui aurait subi un dommage résultant directement de la faute contractuelle commise, et ce sans qu’aucune limite de principe, ou de montant puisse être opposée aux demandeurs, quel que soit le fondement de leur action. En effet, l’enjeu financier pour le contractant attaqué peut être considérable s’il doit indemniser son contractant et un tiers, les deux ayant subi un dommage distinct mais résultant potentiellement du même manquement contractuel.
Trivialement parlant, désormais et depuis l’arrêt du 3 juillet 2024, le tiers au contrat est « logé à la même enseigne » que le cocontractant, ou même le sous-contractant dans une chaîne de contrats, et peut se voir opposer les mêmes limites et exclusions que toutes les parties au contrat.
Encore reste-t-il à bien rédiger de telles clauses limitatives, au regard des principes consacrés par la jurisprudence, afin qu’elles puissent produire leur pleine efficience en cas de litige.
En tout état de cause, et ainsi que l’a rappelé, encore très récemment, la Cour de cassation (dans un arrêt du 26 juin 2024 – pourvoi n° 23-14.306), l’application d’une clause limitative de responsabilité peut toujours être écartée en cas de faute lourde, laquelle peut être caractérisée – sans avoir à être intentionnelle – en cas de comportement d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur d’accomplir l'obligation contractuelle qu’il avait acceptée.
De même, le tiers garde la possibilité d’engager une action, sur le fondement de la responsabilité délictuelle « pure », sans invoquer un quelconque manquement contractuel mais en démontrant que les éléments constitutifs de la mise en cause de la responsabilité délictuelle sont réunis.
Suite à cette décision, il reviendra donc au tiers demandeur d’analyser de manière stratégique et au cas par cas, quelle est la meilleure approche contentieuse et le fondement le plus opportun pour engager son action en responsabilité, compte tenu de la règle de non-cumul.
De son côté, la partie défenderesse veillera à utiliser judicieusement le « bouclier » des clauses limitatives de responsabilité.
- Recommandations pratiques :
A la lumière de cet arrêt de la Cour de cassation, il est plus que recommandé d’insérer, dans les contrats B2B, qu’ils soient de dimension internationale ou domestique, des clauses limitatives de responsabilité de nature à protéger le professionnel mis en cause au titre de sa responsabilité contractuelle ou délictuelle, par son cocontractant ou un tiers (tel qu’un assureur par exemple).
Le fond et la forme de ce type de clauses nécessite une expertise particulière basée sur la connaissance des lois et jurisprudences applicables en la matière, et ce pour assurer leur validité et pleine efficacité.
Sarah Temple-Boyer Camille Morel
Avocat Stagiaire