Qui est le moins cher? la guerre des prix est relancée (Novembre 2011)
Les chantres de la comparaison systématique des prix entre concurrents ont des raisons d’être ravis !
Deux jurisprudences récentes consacrent les effets vertueux de la comparabilité des prix en facilitant sa mise en œuvre, au nom de la sacrosainte libre concurrence.
Tout d’abord, la décision du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg du 3 octobre 2011 (n°09/04687) donne tort à Lidl qui contestait à Leclerc le droit de comparer, via son site Internet de comparaison des prix , l’un de ses produits de la gamme Eco + à un produit qui n’était pas considéré comme un « premier » prix chez Lidl.
Lidl soutenait, en outre, que les produits comparés (en l’occurrence deux références de crème fraîche) n’étaient pas identiques (le pot de Lidl étant notamment fermé par un opercule) et ne pouvaient donc faire l’objet d’une publicité comparative. Lidl considérait, ce faisant, que Leclerc s’était livrée à une publicité trompeuse et sollicitait la condamnation de cette dernière au paiement, entre autres, de 5.000.000 d’euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis du fait des actes de publicité comparative illicite et de concurrence déloyale.
Dans son jugement, le Tribunal de Strasbourg déboute Lidl de ses demandes en considérant que la publicité comparative diffusée par Leclerc remplit bien les conditions de licéité prescrites, tant par le droit national (article L.121-8 du Code de la consommation) que par le droit européen, à savoir :
- la comparaison de biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objet ;
- la comparaison objective d’une ou plusieurs caractéristiques essentielles pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services ;
- l’absence de discrédit ou de dénigrement des marques, noms commerciaux, biens, services, activités ou situation d’un concurrent.
En l’occurrence, le jugement du 3 octobre 2011 retient notamment que « les prix indiqués pour les produits comparés sont exacts » et que « les deux produits comparés sont des pots de crème fraîche épaisse allégée à 15% de matière grasse conditionnés dans des emballages en matière plastique ou cartonnée de mêmes forme et contenance ».
Dès lors, le Tribunal de Strasbourg retient que « les deux produits comparés sont donc identiques par nature » nonobstant la présence d’un opercule sur le produit Lidl qui n’existe pas sur le produit de la Gamme Eco + de Leclerc. Ledit opercule « n’a aucune incidence sur la qualité intrinsèque du produit mais seulement sur sa conservation et son hygiène de sorte qu’il n’apparaît pas comme un élément déterminant du choix effectué par le consommateur (…) d’abord motivé par la recherche du meilleur prix ».
Il s’ensuit donc pour le Tribunal que les « deux pots de crème fraîche allégée, avec ou sans opercule, sont interchangeables » et que la publicité comparative opérée est licite, au regard du droit national et communautaire, en ce qu’elle compare deux produits ayant des « caractéristiques essentielles, pertinentes et représentatives identiques à savoir la nature du produit (crème allégée 15%), sa texture (épaisse) et sa présentation (pot en plastique ou carton de mêmes forme et contenance) ».
La libre comparabilité des prix est également consacrée dans un arrêt du 4 octobre 2011de la Cour de cassation laquelle entérine, plus de trois années après l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie (dite « LME »), la licéité de la pratique de relevés de prix en magasins.
Craignant que les relevés de prix conduisent à une baisse généralisée des prix, certaines enseignes de la grande distribution avaient pris l’habitude d’interdire cette pratique, en refusant l’accès à leurs magasins aux détenteurs de « pistolets » électroniques. C’est notamment ce qu’avait tenté de faire la société Carrefour Hypermarchés à l’encontre des salariés d’un magasin Leclerc qui avaient cherché à procéder à des relevés de prix dans un magasin Carrefour situé dans la même zone de chalandise.
Suite à ce refus, Leclerc avait assigné Carrefour Hypermarchés devant le tribunal de commerce de Montpellier afin qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de laisser pratiquer par les salariés de Leclerc les relevés de prix sur les produits en rayons.
La juridiction de première instance avait accédé à la demande de Leclerc mais, en appel, ce jugement avait été infirmé par un arrêt du 18 mai 2010, la Cour d’appel de Montpellier estimant que la société Carrefour disposait, en vertu de son droit de propriété, de la possibilité de refuser l’accès à son magasin à des personnes autres que des clients potentiels ; la Cour d’appel ajoutait, par ailleurs, que Leclerc n’apportait pas la preuve de l’existence d’un usage commercial (de relevés des prix) qui « constituerait une restriction licite au droit de propriété ».
C’est cet arrêt que la Cour de cassation a censuré le 4 octobre dernier en considérant qu’entre l’impératif de libre concurrence par les prix et la protection du droit de propriété, c’est le respect du premier principe qui doit primer : « attendu qu’en statuant ainsi, alors que la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence commande que les concurrents puissent comparer leurs prix et en conséquence en faire pratiquer des relevés par leurs salariés dans leurs magasins respectifs, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Le texte en question (article L.410-2 du Code de commerce), au visa duquel l’arrêt de la Cour de cassation est rendu, ne vise pourtant pas expressément la pratique des relevés des prix dont il est question ici[1].
Preuve est faite donc de la volonté de la Cour de cassation de consacrer clairement et durablement la licéité de la pratique des relevés de prix, au besoin par le truchement d’un texte qui n’en traite pas directement.
Le principe de la licéité de la pratique est désormais acté. Il n’en reste pas moins que les modalités pratiques de l’exercice de ce droit de procéder à des relevés de prix mériteraient d’être précisées et ce, afin d’éviter tous débordements et tensions que pourrait causer l’intervention inopinée de salariés d’une enseigne concurrente dans un magasin.
Il résulte des deux récentes décisions commentées que la comparabilité des prix est désormais facilitée par le fait :
- d’une part, qu’une publicité comparative pour être licite n’a pas besoin de porter sur des produits rigoureusement identiques mais seulement interchangeables, du point de vue du consommateur moyen ;
- d’autre part, que les salariés d’une enseigne peuvent librement accéder au magasin d’une enseigne concurrente afin de faire pratiquer des relevés de prix sur les produits proposés à la vente.
En encourageant de plus en plus la comparabilité des prix, la jurisprudence récente ravive encore la guerre des prix sans merci que se livrent les enseignes de la grande distribution.
Cela devrait également permettre de donner plein effet aux stratégies commerciales EDLP (« Every day low price ») et de « compensation » qui prônent et conduisent au remboursement systématique de la différence de prix constatée dans un magasin d’une enseigne concurrente.
Rien n’empêche désormais le consommateur lambda, armé de sa « scannette » (nouvelle application de certains téléphones mobiles), de relever le prix d’un produit dans deux surfaces de vente différentes et de demander ensuite, directement en caisse, le remboursement de la différence de prix constatée !
La guerre des prix ne fait que commencer.
[1] Article L.410-2 du Code de commerce dispose : « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’Etat peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence. Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête par décret en Conseil d’Etat, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé (…) ».