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Actualités janvier 2025 : Quels recours possibles en cas d’inexécution contractuelle ? Quelques précisions utiles sur l’exécution en nature et la réduction unilatérale du prix

Actualités janvier 2025 : Quels recours possibles en cas d’inexécution contractuelle ?   Quelques précisions utiles sur l’exécution en nature et la réduction unilatérale du prix

 

  • Rappel :

C’est à l’occasion de la sécheresse exceptionnelle à Mayotte et de son impact sur les contrats de distribution d’eau potable que la Cour de cassation a rendu, le 18 décembre 2024, un arrêt très intéressant sur l’interprétation à donner de certaines dispositions, de portée encore incertaine, du nouveau droit français des obligations.

Revenons rapidement sur les faits ayant donné lieu à cette décision :

  • Les requérants ayant souscrit un contrat de distribution d'eau avec la Société mahoraise des eaux (SMAE), ont subi des coupures d'eau à partir de juin 2023 en raison d'une sécheresse exceptionnelle ayant conduit le préfet de Mayotte à restreindre l'accès à l'eau via des arrêtés.
  • Reprochant à la SMAE de ne pas assurer la continuité du service et la fourniture d'eau propre, ils ont assigné la société pour obtenir notamment :

- Le rétablissement de l'approvisionnement continu au robinet ou, à défaut, la mise à disposition d'eau en bouteilles ou fontaines (autrement dit « l’exécution (forcée) en nature » au sens de l’article 1221 du code civil)

- Une réduction de 90 % du prix de l'abonnement jusqu'à rétablissement du service (autrement dit « la réduction du prix » au sens de l’article 1223 du code civil)

L’arrêt du 18 décembre 2024 consacre :

  •  (i) l’inapplicabilité de l’exécution en nature face à une impossibilité matérielle avérée (en l’occurrence en raison d’un cas de Force Majeure)
  • (ii) le refus du juge de substituer une autre obligation non prévue au contrat et
  • (iii) la possibilité pour le créancier, en cas d’exécution imparfaite, d’obtenir une réduction de prix, même s’il n’a pas encore payé la totalité du prix
  • Intérêt de cette décision :

(i) L'inapplicabilité de l’exécution en nature face à une impossibilité matérielle avérée (Force Majeure)

En l’occurrence, les requérants exigeaient le rétablissement de l’accès à l’eau potable, malgré des restrictions préfectorales imposées par la sécheresse exceptionnelle de 2023

- La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel ayant retenu qu’en l’espèce l'exécution forcée de l'obligation de distribution d’eau potable au robinet était matériellement impossible, du fait de la contrainte insurmontable imposée par l’arrêté préfectoral.

--> Ce faisant, le cas de Force Majeure étant caractérisé, sur le fondement de l’article 1218, la SMAE était exonérée de toute responsabilité et déchargée de son obligation de fournir une prestation rendue manifestement impossible.

(ii) Le refus du juge de substituer une autre obligation non prévue au contrat

Face à la rupture d’approvisionnement en eau du robinet et dans l’hypothèse où la demande d’exécution forcée ne pourrait prospérer, les requérants réclamaient alternativement que la SMAE livre de l’eau en bouteilles ou via des fontaines, afin de satisfaire à ses obligations contractuelles.

  • La Cour de cassation a catégoriquement rejeté cette demande, réaffirmant que l’exécution forcée ne peut porter que sur l’obligation contractuellement prévue, estimant que, si l’obligation principale devient impossible à exécuter, aucune règle ne permet de la remplacer par une obligation différente sans stipulation expresse au contrat.

--> Ce faisant, la Haute Juridiction refuse– et c’est une très bonne chose pour tous les fervents partisans de l’autonomie de la volonté et du consensualisme– de s’immiscer dans le « domaine réservé » des parties qu’est le contrat

(iii) La possibilité pour le créancier d’obtenir une réduction de prix, même en l’absence de paiement de la totalité du prix

Les requérants sollicitaient une réduction de 90% du prix de l’abonnement jusqu’au rétablissement du service.

Sans doute, pour ne pas laisser les requérants sans recours (après avoir rejeté leurs demandes précédentes), la Cour de cassation consacre :

  • Au nom du droit à l’accès au juge, la recevabilité d’une demande de réduction de prix (fondée sur l’article 1223 du code civil) même si le créancier n’a pas encore payé l’intégralité du prix dû. Cette interprétation rompt avec une certaine lecture stricte de l’alinéa 2 de l’article 1223 laissant entendre que seul le paiement intégral ouvrait la possibilité d’une saisine judiciaire au visa de l’article précité.
  • Le caractère unilatéral de la réduction du prix, qui reste néanmoins sous le contrôle du juge. Le créancier peut d’office notifier une réduction (et ensuite peut saisir le juge pour la voir prononcer), mais court le risque (dans ce cas) d’être condamné pour refus injustifié de paiement si le juge rejette ultérieurement la réduction pratiquée unilatéralement comme étant abusive.

Même si les requérants ont vu leur droit à réduction du prix contractuel facilité par l’arrêt de la Cour de cassation, il n’en reste pas moins difficile d’envisager une réduction substantielle du prix dans de telles circonstances, et dès lors que la SMAE est exonérée de toute responsabilité pour inexécution contractuelle, en raison du cas de Force Majeure reconnue par ailleurs. Ce sera donc le travail complexe de la Cour d’appel de renvoi que d’arbitrer entre les intérêts des parties, en tenant compte du caractère exceptionnel des circonstances.

  • Recommandations pratiques :

Cet arrêt riche d’enseignements, incite à améliorer sa technique contractuelle en anticipant les risques et en insérant, au sein du contrat, des clauses aménageant notamment :

  • La « Force Majeure » en lien avec l’article 1218 du code civil. Une clause de Force Majeure doit être personnalisée et adaptée avec finesse, en fonction du secteur considéré, en particulier par la partie qui porte la charge des obligations à exécuter (fournisseur / prestataire)
  • Des obligations de substitution ou alternatives, côté client, dans l’hypothèse où l’exécution de l’obligation principale serait rendue impossible
  • La réduction unilatérale du prix – l’article 1223 n’étant pas, par principe d’ordre public, il pourra être utile au cas par cas (en fonction de sa position contractuelle), de l’exclure en prenant les précautions d’usage ou, à tout le moins d’en encadrer son recours contractuellement
  • De manière générale et comme toujours, les voies de négociation et de résolution amiable des différends, pour éviter toute dérive contentieuse.

 

Sarah Temple-Boyer                                                                              Aude Denis

Avocat & Médiateur certifié (France & CEDR)                                       Stagiaire – Elève avocat

Publié le 28/01/2025