Actualités Octobre 2024 : Attention aux échanges d’informations entre concurrents : ils ne sont pas anodins !
- Rappel
Il peut arriver, sur un marché donné, que des entreprises (en situation de concurrence même partielle) s’échangent – sans d’ailleurs penser à mal et en toute transparence – des informations stratégiques, pour apprécier leur position respective sur le marché.
Ce partage d’informations peut se tenir, par exemple, à l’occasion de réunions informelles dans le cadre de groupements momentanés d’entreprises, de consortiums ou autres associations d’entreprises autorisées.
Si elles ne représentent individuellement qu’une part de marché restreinte, les entreprises concernées peuvent être tentées de considérer qu’un partage de données stratégiques n’enfreint aucune règle du droit de la concurrence, dès lors que le marché lui-même ne risque pas d’en être affecté de manière notable.
Grave erreur d’appréciation ! et c’est ce que rappelle l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 29 juillet 2024.
- Enseignements essentiels de la décision
Dans cette décision, la CJUE précise que l’échange d’informations entre concurrents peut être sanctionné pour entente illicite (au sens de l’article 101 TFUE) sans qu’il soit nécessaire d’examiner les effets concrets de cette pratique sur le marché, si les informations échangées sont considérées comme confidentielles et stratégiques.
La CJUE rappelle en particulier trois points importants :
- pour qu’un marché fonctionne dans des conditions normales, les opérateurs doivent déterminer, de manière autonome, la politique qu’ils entendent suivre, sans être influencés par les comportements probables de leurs concurrents
- or, un échange d’informations peut contrevenir à la détermination d’une politique autonome sur le marché si les informations partagées sont d’une telle nature qu’elles conduisent inévitablement à un alignement de la politique d’entreprises en concurrence sur un même marché
- la plupart des informations confidentielles et stratégiques partagées entre concurrents sont, de ce fait potentiellement dangereuses, dans la mesure où elles révèlent le comportement futur des concurrents sur un marché et ne laissent dès lors plus aucune place à l’incertitude permettant de déterminer sa politique (notamment tarifaire) de manière indépendante. Comme elle en juge notamment dans cette affaire, « dans le contexte entourant cet échange, les informations échangées ne peuvent que conduire les participants, qui seraient raisonnablement actifs et économiquement rationnels, à suivre tacitement une même ligne de conduite ».
Et c’est cela même qui caractérise la restriction « par objet » de la pratique consistant en l’échange d’informations confidentielles et stratégiques.
Certes, la portée de cette décision est à relativiser dans la mesure où, en l’espèce, les entreprises du secteur bancaire – condamnées à une amende de 225 millions d’euros par l’autorité nationale de concurrence – intervenaient sur un marché présentant une forte concentration et s’étaient échangées, sur une longue période, des informations spécifiques et hautement stratégiques.
Mais cette décision a néanmoins le mérite d’alerter toutes les entreprises sur le risque inhérent au partage d’informations entre concurrents, dès lors que cette pratique peut être constitutive per se d’une restriction par objet et peut donc être condamnée en tant que telle.
- Recommandations pratiques
Toutes les entreprises – et en particulier celles qui sont membres de groupes momentanés, associations ou consortiums – doivent se montrer très vigilantes dans le partage d’informations, dès lors qu’elles sont en concurrence sur un marché.
Toute information partagée doit rester strictement nécessaire à la collaboration et ne doit en aucun cas favoriser une coordination des comportements sur le marché, notamment en termes de politique commerciale et tarifaire.
La mise en place d’un process de modération interne à ces groupements permettant d’assurer une vigilance constante sur le flux d’échanges d’informations et d’attester, le cas échéant, du respect des règles de concurrence peut être une bonne pratique à instituer au sein de toutes les associations d’entreprises.
Sarah Temple-Boyer Zoé Moura de Castro
Avocat Stagiaire