Actualités février 2024 : La responsabilité du professionnel en cas de vice caché du bien vendu – 3 rappels utiles
- Rappel :
Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est obligé de garantir les défauts cachés du bien vendu qui :
- le rendent inadapté à l'usage auquel il est destiné.
- ou qui réduisent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou l'aurait acquis à un prix moindre s'il avait eu connaissance de ces défauts.
Un récent arrêt du 17 janvier 2024 de la chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu dans le sillage de 4 arrêts de la Chambre mixte du 21 juillet 2023) donne l’occasion de revenir sur 3 points importants à garder à l’esprit pour tout vendeur, quel que soit son rang dans la chaîne de ventes successives d’un produit.
- Que faut-il retenir de la décision de la Cour de cassation ?
- Le vendeur professionnel – mais seulement celui-ci – est présumé connaître (sans pouvoir apporter la preuve contraire) les vices cachés de la chose vendue
En matière de vice caché, seul le vendeur dit « professionnel » est présumé connaître les vices affectant la chose vendue, et ce de manière irréfragable (c’est-à dire qu’il ne peut apporter la preuve contraire et qu’il est donc présumé responsable de plein droit des conséquences liées aux vices cachés).
Ainsi que le rappelle la Cour Suprême, il résulte de l'article 1645 du code civil, « une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence ».
Compte tenu des conséquences de cette présomption irréfragable, la qualification de vendeur « professionnel » est donc d’interprétation restrictive et doit être caractérisée par les juges du fond, selon rappel utile de la Cour de cassation.
Ainsi en l’occurrence, dans l’affaire considérée, la Cour de cassation a censuré les juges du fond pour ne pas avoir recherché si le vendeur, dont la responsabilité était recherchée – quand bien même il était spécialisé dans les travaux forestier – se livrait de manière habituelle à la vente d’engins agricoles.
- L’acheteur doit agir en garantie des vices cachés dans un délai de 2 ans, mais ce délai peut être interrompu
L’acquéreur du bien affecté du vice caché doit impérativement agir dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du défaut affectant le bien qui lui a été vendu. En revanche, il est désormais acquis que ce délai de prescription peut être interrompu, par exemple par une mesure d’expertise judiciaire, pour reprendre son cours ensuite, ce qui est favorable au demandeur à l’action en garantie.
- L’acheteur peut agir en responsabilité à l’encontre du vendeur au titre des vices cachés pendant 20 ans à compter de la vente du produit.
Cette décision de la chambre commerciale de Cour de cassation réaffirme la solution consacrée par la Chambre mixte en juillet dernier et semble définitivement mettre fin au courant jurisprudentiel favorable au vendeur et qui estimait, en vertu de l’article L.110-4 du code de commerce, que l’action de l’acquéreur était prescrite 5 ans après la vente du produit affecté du vice caché.
Il semble désormais acquis que l’acquéreur, quel que soit son rang dans la chaîne de contrats, peut – et cela lui est évidemment très favorable – intenter une action en responsabilité, principale ou récursoire, dans un délai de 20 ans à compter de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.
- Quels enseignements en pratique pour le vendeur ?
- : la responsabilité du vendeur, au titre des vices cachés du bien vendu, peut être recherchée pendant 20 ans suivant la vente du produit, et ce quel que soit le produit (mobilier ou immobilier) ou la position du vendeur, dans la chaîne des contrats de vente.
Il est donc exclu de croire que l’acquéreur ou le sous-acquéreur n’ont plus de recours, passé 5 ans suivant la vente initiale du produit.
Il reste toujours au professionnel, entre autres moyens de défense, la possibilité de contester :
- sa qualité de « vendeur professionnel » pour tenter de combattre la présomption « irréfragable » de sa connaissance du vice caché. Et l’on sait que la Cour de cassation est vigilante à ce que les juges du fond caractérisent, de manière attentive, la qualité de « vendeur professionnel ».
- la validité de l’action en garantie des vices cachés, dans les délais prescrits, en soutenant que l’acquéreur n’a pas respecté le délai de 2 ans à compter de la découverte du vice (même si l’on sait maintenant que ce délai est susceptible d’interruption). Il faut à cet égard rappeler que le demandeur à l’action en garantie des vices cachés doit démontrer avoir agi, dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice caché – délai lui-même enfermé dans le délai-butoir de 20 ans à compter de la vente du bien affecté dudit vice.
Compte tenu de l’insistance récente de la Cour de cassation sur ces questions, il y a fort à parier que ce courant jurisprudentiel réaffirmé depuis juillet 2023 soit désormais le droit positif de référence à prendre en considération – sauf changement législatif à venir qui pourrait changer la donne (l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux en cours a notamment prévu de réformer la garantie des vices cachés sur des points importants).
Un juge français saisi d’un litige dans une chaîne internationale de contrats de vente pourrait également décider de faire application du droit français et donc du régime de la garantie des vices cachés. D’où l’importance, dans les contrats internationaux, du choix de la loi applicable et de la juridiction compétente.
Un autre point d’intérêt serait de revenir la possibilité ouverte au vendeur de stipuler des clauses restrictives / limitatives de responsabilité valides et opposables pour contrer les effets de la garantie des vices cachés mais c’est une autre histoire et un autre sujet d’article.
A suivre donc…
Sarah Temple-Boyer Jessica Pereira Quaresma
Avocat Stagiaire