Actualités février 2024 : De l’importance du choix de loi applicable dans un contrat international d’agence commerciale et autres leçons utiles pour un mandant
- Rappel :
D’aucuns tendent toujours à négocier âprement pour imposer leur loi dans un contrat international, pensant qu’un contrat soumis à la loi que l’on connaît est toujours un avantage.
C’est souvent préférable mais pas toujours…
Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 janvier 2023 rendu dans le contexte d’un contrat d’agence commerciale international le rappelle à bon escient, entre autres enseignements utiles.
- Que faut-il retenir de la décision de la Cour de cassation ?
Dans l’affaire soumise à la Cour Suprême, une société française spécialisée dans le commerce de vins et spiritueux (la société Rémy Cointreau en l’occurrence), avait confié en 2008 à une société canadienne la promotion de ses produits au Canada ; étant précisé que les parties avaient fait le choix de la loi française dans le contrat intitulé « exclusive agency agreement ».
À la suite de la résiliation du contrat par la société française quelques années plus tard, la société canadienne a sollicité le versement d'une indemnité compensatrice de fin de contrat de 3 millions d’euros sur le fondement de l’article L134-12 du Code de commerce français (dont on sait qu’une telle indemnité s’élève généralement à deux ans de commissions brutes).
La société mandante chercha à contester le droit à l’indemnité de l’agent, en soutenant que :
- le bénéfice de l’indemnité de fin de contrat, consacrée par la Directive européenne 86/643/CEE et par la loi française, ne pouvait bénéficier à une entreprise exerçant son activité dans le territoire tiers à l’Union Européenne
- l’agent canadien ne pouvait prétendre à la qualification (et donc à la protection statutaire) de l’agent commercial français/européen dès lors qu’il ne disposait pas du pouvoir de négocier ou modifier les prix des produits, du fait de l’existence d’un monopole d’Etat de la distribution de l’alcool au Canada ; ce qui restreignait donc de fait le mandat donné à l’agent canadien à une simple mission de courtier ou de prestataire de services.
Aucun de ces arguments ne prospéra devant la Cour de cassation qui considéra que l’agent canadien pouvait prétendre à l’indemnité compensatrice de fin de contrat consacrée par l’article L.134-13 du code de commerce français et ce pour les raisons suivantes :
- Les Parties ayant fait le libre choix de soumettre le contrat à la loi française, le mandataire canadien pouvait donc bien prétendre à la protection statutaire conférée par les articles L.134-1 et suivants du code de commerce et à l’indemnité compensatrice en résultant ;
- La Cour de cassation – dans la lignée du précédent revirement de jurisprudence déjà opéré quelques années plus tôt (Cass. com., 2 décembre 2020, n° 18-20.231) lui-même rendu dans le sillage de l’arrêt de la CJUE (CJUE, 4 juin 2020, aff. C-828/18) – retient que le bénéfice du statut légal protecteur n’implique pas nécessairement que le mandataire soit libre de modifier les conditions et tarifs des marchandises dont il fait la promotion ;
- La Cour de cassation souligne enfin – et c’est un point intéressant – que même si la jurisprudence de la Cour de cassation retenait le principe inverse au moment du choix contractuel de la loi française, « la sécurité juridique ne consacre pas un droit acquis à une jurisprudence figée ». L’interprétation d’une loi étant susceptible d’évoluer au fil de la jurisprudence, les parties ne pouvaient considérer le courant jurisprudentiel prévalant au moment où la loi française avait été choisie comme un « droit acquis » à l’aulne duquel tout litige postérieur doit être interprété.
- Quels enseignements en pratique ?
Pour un maximum de sécurité juridique, le choix de la loi applicable à un contrat doit être mûrement réfléchi, sans pour autant partir du principe que la loi sera toujours interprétée à la lumière de la jurisprudence existante au moment où le choix a été fait.
C’est donc à la fois avec rigueur, mais également avec une certaine dose de philosophie, que le choix de la loi contractuelle doit être fait, en considérant que tout ne peut être anticipé à l’avance et qu’il n’existe pas de sécurité juridique absolue.
En l’occurrence, ce qui est certain c’est que le choix de la loi française, certainement guidé par la société mandante française, comportait en soi un risque, dans la mesure où elle ouvrait la faculté à l’agent canadien de prétendre à une protection statutaire à laquelle il n’aurait pas eu droit si le contrat ne lui en avait pas ouvert la possibilité.
En effet, la loi canadienne eût-elle été choisie, l’agent aurait été bien en peine de prétendre à un tel niveau d’indemnité compensatrice, le Canada accordant, semble-t-il, une protection bien moindre aux agents commerciaux, en particulier s’agissant d’une indemnité de fin de contrat.
Dans ce contexte, la problématique de la qualification (ou non) d’agent commercial – au regard des vicissitudes jurisprudentielles de la CJUE ou des tribunaux français – était finalement assez secondaire eu égard au choix risqué de la loi française de prime abord.
Sarah Temple-Boyer Jessica Pereia Quaresma
Avocat Stagiaire