Le recours contre les ordonnances d'autorisation de visites et de saisies sanctionné au visa de l'article 6-1 de la CEDH (Décembre 2011)
A plusieurs reprises (les 21 juin, 2 et 15 novembre 2011)[1], la Cour de Cassation a cassé, au visa de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), trois arrêts de la Cour d’Appel de Paris ayant rejeté les recours contre des ordonnances autorisant les visites et saisies rendues par le juge des libertés et de la détention (« JLD ») sur le fondement de présomptions de pratiques anticoncurrentielles.
A travers ces trois décisions, c’est l’ordonnance du 13 novembre 2008[2], et donc indirectement le législateur, qui se trouve aujourd’hui sanctionné(e) pour ne pas avoir souscrit aux exigences d’impartialité posées par l’article 6§1 de la CEDH.
Rappel des dispositions applicables au recours contre les ordonnances d’autorisation de visites et saisies
Dans notre e-newsletter de Décembre 2008, nous avions souligné en quoi l’ordonnance du 13 novembre 2008 améliorait sensiblement les droits de la défense des parties désireuses de contester les ordonnances d’autorisation des visites et saisies rendues à leur encontre.
Cette ordonnance, laquelle instituait enfin un recours juridictionnel de second degré contre les décisions du JLD autorisant les visites et saisies, ne devait rien au hasard.
L’introduction de ce recours avait, en effet, été rendu nécessaire par la décision Ravon rendue par la Cour Européenne des Droits de l’Homme[3] aux termes de laquelle la France avait été condamnée en raison des garanties insuffisantes, au regard de l’article 6§1 de la CEDH, qu’offrait la seule possibilité de former un pourvoi en cassation contre les ordonnances autorisant les visites-perquisitions en matière fiscale ; le pourvoi en cassation n’étant pas, aux termes de l’arrêt, « une voie de recours effective aux fins du contrôle de la régularité, en droit et en fait, des ordonnances » et ce « dès lors qu’un tel recours devant la Cour de cassation, juge du droit, ne permet pas un examen des éléments de fait fondant les autorisations litigieuses ».
Sous la pression de cet arrêt Ravon, le législateur s’était senti contraint de remédier aux insuffisances procédurales concernant les recours contre les ordonnances autorisant les saisies et visites en matière fiscale, douanière et dans le domaine du droit de la concurrence. D’où l’intervention de l’ordonnance du 13 novembre 2008.
Pour toutes les procédures en cours, l’article 5, IV de l’ordonnance précitée prévoit en effet que : « si l’autorisation de visite et saisie n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation ou si cette autorisation a fait l’objet d’un pourvoi en cassation ayant donné lieu à un arrêt de rejet de la Cour de cassation, un recours en contestation de l’autorisation est ouvert devant la cour d’appel de Paris , hormis le cas des affaires ayant fait l’objet d’une décision irrévocable à la date de publication de la présente ordonnance ».
Ces dispositions transitoires autorisent donc les parties requérantes à former un recours devant la Cour d’appel de Paris contre l’ordonnance autorisant les visites et saisies à la condition toutefois que cette même cour soit saisie d’un appel contre la décision rendue, au fond, dans la même affaire, par l’Autorité de la concurrence.
Cette restriction à l’exercice du recours contre les ordonnances d’autorisation de visites et de saisies était donc de nature à inquiéter la Cour Européenne des Droits de l’Homme, toujours soucieuse de garantir aux justiciables l’effectivité du contrôle juridictionnel.
C’est dans ce contexte que, plus de deux ans après son intervention, ce sont les dispositions transitoires de l’Ordonnance du 13 novembre 2008 elle-même – laquelle était censée améliorer le contrôle juridictionnel – qui se trouvent dénoncées et condamnées pour être contraires au principe d’impartialité institué par l’article 6§1 de la CEDH.
Condamnation des dispositions transitoires de l’ordonnance du 13 novembre 2008 au regard de l’article 6§1 de la CEDH
Les trois arrêts précités de la Cour de cassation s’inscrivent dans le sillage de l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 21 décembre 2010[5] lequel a considéré que les dispositions transitoires de l’ordonnance du 13 novembre 2008 – instituant un recours juridictionnel contre les ordonnances autorisant les visites et saisies devant la même juridiction que celle appelée à statuer sur l’appel au fond de la décision de l’Autorité de la concurrence dans la même affaire – ne répondaient pas aux exigences de l’article 6§1 de la CEDH.
Dans un même attendu identique dans les trois arrêts commentés, la Cour de cassation déclare, à son tour, que « l’examen de l’existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles autorisant les visite et saisie par la même formation de jugement que celle appelée à statuer sur le bien-fondé des griefs retenus et la sanction prononcée au titre de ces pratiques est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l’impartialité de la juridiction ».
Dans son arrêt du 15 novembre 2011, la Cour de cassation met en exergue, en retranscrivant les motifs mêmes de l’arrêt attaqué, le grand risque de partialité qui réside dans le fait même qu’une seule et même juridiction (en l’occurrence, la Cour d’appel de Paris) ait à se prononcer, (i) d’une part, sur la validité d’une ordonnance autorisant des visites et saisies sur le fondement de présomptions de pratiques anticoncurrentielles et (ii) d’autre part, au fond, sur l’appel de la décision de l’Autorité de la concurrence ayant condamné, postérieurement aux visites, les entreprises incriminées à des sanctions pécuniaires importantes pour s’être livré à des pratiques anticoncurrentielles.
Ainsi la Cour de cassation indique-t-elle que « pour rejeter le recours de la société Véolia transport contre l’ordonnance d’autorisation de visites et de saisies rendue le 17 décembre 1998 par le président du tribunal de grande instance, l’arrêt relève qu’en dépit du prononcé entre-temps par le Conseil d’une décision de condamnation, un tel recours satisfait cependant aux exigences de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce qui concerne le droit à un procès équitable, dès lors qu’il revient seulement à la cour d’appel de vérifier, indépendamment de l’examen du fond de l’affaire, et sans que cela implique pour autant une appréciation préalable de sa part sur le bien fondé des griefs et des sanctions, si le juge qui a autorisé les opérations de visites et saisies l’a fait (…) au vu de présomptions suffisantes d’une pratique anticoncurrentielle ».
Or, dans la réalité, comment peut-on espérer que la Cour d’appel de Paris (qui doit statuer sur le bien-fondé de la décision de l’Autorité de la concurrence ayant condamné les parties) puisse s’abstraire suffisamment de cette décision au fond (laquelle valide implicitement les visites et saisies pratiquées) pour vérifier si lesdites visites et saisies étaient justifiées de prime abord ?
Nul doute que, dans sa décision de condamnation, l’Autorité de la concurrence aura tiré suffisamment d’indices probants, à l’issue des visites et saisies diligentées, pour fonder ses griefs et tenter de justifier ses condamnations.
On voit mal, dans ces conditions, comment la Cour d’appel de Paris – connaissant les fondements sur lesquels ces griefs reposent – pourrait ignorer ceux-ci pour vérifier rétrospectivement et en toute objectivité si le JLD ayant autorisé ces visites et saisies disposait, à l’époque, d’éléments suffisamment probants pour fonder ses « présomptions » de pratiques anticoncurrentielles.
Exiger, dans ces conditions, que la Cour d’appel de Paris soit impartiale revient à attendre d’elle qu’elle devienne à la fois schizophrène et amnésique ; dans ces circonstances, il est normal et parfaitement sain que la Cour de cassation ait – de manière diplomate et à l’instar de la Cour Européenne des Droits de l’Homme – estimé que l’examen par la même juridiction de deux recours aussi connexes soit « de nature à faire naître un doute raisonnable sur l’impartialité de la juridiction ».
Pour la Cour de cassation, il appartient donc à la cour d’appel de Paris de veiller, lorsqu’elle est saisie à la fois d’un recours contre une ordonnance d’autorisation de visite et d’un recours contre la décision au fond rendue par l’Autorité de la concurrence, à ce que les deux recours soient instruits, en son sein, par deux formations de jugement distinctes et indépendantes – ce qui suppose deux compositions animées par des magistrats aguerris et familiers des pratiques anticoncurrentielles.
Les exigences de la Cour de cassation convergent donc, en l’occurrence, avec la volonté du législateur d’instaurer des juridictions spécialisées[6].
[1] Com 21 juin 2011, pourvoi n°09-67793
Com 2 novembre 2011, pourvoi n°10-21103
Com 15 novembre 2011, pourvoi n°10-20527, 10-20851, 10-20881
[2] Ordonnance n°2008-1161 portant modernisation de la régulation de la concurrence
[3] CEDH, 21 février 2008, n°18497/03
[4] Article L.464-8 du Code de commerce : « les décisions de l’Autorité de la concurrence (…) sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l’économie, qui peuvent, dans le délai d’un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris ».
[5] CEDH, 21 décembre 2010, 29408/08
[6] Cf. Décret n°2005-1756 du 30 décembre 2005 fixant la liste et le ressort des juridictions spécialisées en matière de concurrence, de propriété industrielle et de difficulté des entreprises
Décret 2009-1384 du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence