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ACTUALITÉS JUIN 2024 - PÉNALITÉS LOGISTIQUES : COMMENT LES CONTESTER?

ACTUALITÉS JUIN 2024 - PÉNALITÉS LOGISTIQUES : COMMENT LES CONTESTER?

(ACTUALISATION DE L’ARTICLE PRECEDENT DE MARS 2022)

 

Cet article opère une actualisation de l’article paru sur le même sujet en mars 2022 suite à la loi Egalim 2 du 18 octobre 2021.

En ces temps de pénuries de marchandises et de tensions logistiques très fortes, certains fournisseurs peuvent voir leur responsabilité engagée en cas de retard de livraison des fournitures, en particulier si des "pénalités de retard" sont contractuellement prévues dans les contrats les liant à leurs clients.

Les clauses contractuelles constituant la "loi" des parties, est-il possible de contester ou de renégocier de telles pénalités dites "logistiques" ?

Focus sur un point de négociation contractuelle intéressant.

1- Rappel

Depuis 2021 et probablement pour éviter les abus, le législateur a estimé utile de clarifier le régime des pénalités logistiques qui peuvent être facturées à un fournisseur :

  • d'une part, en introduisant une nouvelle sanction au titre des pratiques restrictives en lien avec ces pénalités logistiques (article L.442-1-I alinéa 3 du code de commerce);
  • d'autre part, en énumérant un certain nombre de conditions de validité des clauses contractuelles relatives aux pénalités logistiques, aux termes de l’article L.441-17 du code de commerce, texte d’ordre public (auquel il n’est donc pas possible de déroger contractuellement).

2- Ce qu'il faut retenir

  • sur la sanction de l'article L.442-1-I alinéa 3 :engage sa responsabilité au titre des pratiques restrictives de concurrence, toute personne (exerçant des activités de production, de distribution ou de services) qui impose "des pénalités logistiques ne respectant pas l'article L.441-17 du code de commerce" (article L.442-1 du code de commerce)

⚠️ Pour rappel : la personne dont la responsabilité est engagée encourt (outre la réparation du préjudice subi par la victime et le risque de voir la clause ou le contrat concerné annulé(e) une amende civile du montant maximum le plus élevé suivant (soit 5 millions d', soit le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus, soit 5% du CA HT réalisé en France par l'auteur des pratiques (article L.442-4 du code de commerce)

  • sur les conditions de validité des clauses relatives aux pénalités logistiques:

Les clauses contractuelles relatives aux pénalités logistiques appliquées par un distributeur / client à son fournisseur doivent remplir les conditions suivantes qui ont été encore durcies par la loi du 30 mars 2023 (article L.441-17, tel que modifié par la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023).

Pour plus de lisibilité, figurent « en rouge » dans le texte ci-dessous, les nouvelles conditions de validité des clauses relatives aux pénalités logistiques ajoutées par la loi du 30 mars 2023

  • les clauses doivent prévoir une marge d'erreur suffisante au regard du volume des livraisons prévues par le contrat et un délai suffisant doit être respecté pour informer l'autre partie en cas d’aléa ;

Le groupe Edouard Leclerc, à l’origine indirecte d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par le Conseil d’Etat au Conseil Constitutionnel, a bien cherché récemment à contester la légalité de la notion de « marge d’erreur suffisante » telle que visée à l’article L .441-17 alinéa 1 précité et des sanctions pénales attachées.  En dépit d’arguments pertinents, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 30 avril 2024, répondu défavorablement à la demande du groupe E. Leclerc.

Aux termes de cette décision, le Conseil Constitutionnel considère que la notion de « marge d’erreur suffisante » ne présente ni de caractère imprécis ou équivoque, ni ne méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ou aucun autre droit ou liberté garanti par la Constitution (Cons. Const., 30 avril 2024, déc. QPC n° 2024-1087) dès lors qu’« il résulte des termes mêmes [des dispositions de l’article L.441-17 ] que le caractère suffisant de la marge d’erreur doit s’apprécier au cas par cas au regard du volume de livraisons prévues par le contrat ».

  • alors que dans la version de 2021 de l’article L.441-17, il était seulement indiqué que les pénalités prévues ne pouvaient dépasser un montant correspondant à un pourcentage du prix d'achat des produits concernés, il est désormais prévu que les pénalités doivent être « proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels, dans la limite d’un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés » ;
  • les pénalités ne peuvent pas être infligées pour l’inexécution d’engagements contractuels survenus plus d’1 an auparavant ;
  • elles ne peuvent pas donner lieu au refus ou au retour des marchandises, sauf en cas de non-conformité ou de non-respect de la date de livraison;
  • lorsque le distributeur transmet au fournisseur un avis de pénalité logistique en raison d’une inexécution contractuelle, il lui appartient d’apporter en même temps, par tout moyen, la preuve du manquement constaté et celle du préjudice subi ;
  • elles ne peuvent être appliquées que dans les cas ayant entraîné des ruptures de stock ou lorsque le distributeur peut démontrer et documenter par écrit l'existence d'un préjudice;
  • elles ne peuvent pas donner lieu à leur déduction d'office de la facture établie par le fournisseur;
  • l'application des pénalités logistiques doit tenir compte "des circonstances indépendantes de la volonté des parties". En cas de force majeure, aucune pénalité logistique ne peut être infligée.

⭕️ cette condition est intéressante en ce qu'elle implique qu'un fournisseur peut prétendre échapper à l'application de pénalités logistiques dans des circonstances s'imposant à lui, sans avoir à démontrer nécessairement que toutes les conditions requises par l'article 1218 du code civil (force majeure) sont remplies.

  • le délai de paiement des pénalités ne peut être inférieur au délai de paiement dont bénéficie le distributeur pour payer les marchandises.
  • En cas de situation exceptionnelle, extérieure aux distributeurs et aux fournisseurs, affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs, l’application des pénalités logistiques entre les opérateurs concernés par ladite situation peut être suspendue pour une durée maximale de 6 mois renouvelable ;
  • Cet article et ces conditions ne s’appliquent pas aux relations commerciales avec les grossistes.

3- Que faire en pratique ?

Tout fournisseur soumis contractuellement à des pénalités logistiques peut donc invoquer ces dispositions pour contester (ou renégocier) l'application des pénalités logistiques :

  • si la clause y afférant ne remplit pas les conditions de l'article L.441-17 du code de commerce, qui se sont encore durcies depuis 2021
  • si le distributeur / client tente d'imposer des pénalités logistiques ne remplissant pas les conditions de validité prévues à l'article L.441-17; les sanctions attachées à une telle pratique (vues ci-dessus) visant à imposer des pénalités logistiques devraient, à elles seules, être suffisantes pour dissuader les velléités du partenaire commercial en ce sens.

A noter également d’autres dispositions introduites par la loi du 30 mars 2023 renforçant :

  • d’une part, la position du fournisseur à l’égard du distributeur. Probablement dans un souci de réciprocité et de parallélisme des formes, le fournisseur est, lui aussi, doté de la possibilité, en cas d’inexécution d’un engagement contractuel du distributeur, d’infliger des pénalités lesquelles doivent également être « proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels dans la limite d’un plafond équivalent à 2% de la valeur, au sein de la commande, des produits commandés concernée par l’inexécution ». Les conditions d’administration de la preuve sont les mêmes que celles prévues à la charge du distributeur aux termes de l’article L.441-17 alinéa 1 » (article L.441-18 du code de commerce)
  • d’autre part, les obligations d’information à la charge du fournisseur et du distributeur envers l’Administration, qui renforcent d’autant son pouvoir de contrôle et son droit d’ingérence dans le contrat des parties (article L.441-19 du code de commerce) ce qui en soi est problématique.

 Ainsi :

  • le distributeur doit communiquer à la DGCCRF les montants des pénalités logistiques infligées au cours des 12 derniers mois ;
  • Le fournisseur doit communiquer les montants des pénalités logistiques qui lui ont été infligées ;
  • tout manquement à ces obligations de communication est passible d’une amende de 75 000 € pour une personne physique, 500 000 € pour une personne morale ; l’amende est doublée en cas de récidive.

 

Il faut désormais être bien téméraire pour prévoir des clauses imposant des pénalités logistiques dans ces contrats ….

 

Sarah Temple-Boyer                                                                         Claire Bricout

Avocat                                                                                               Stagiaire

Publié le 04/06/2024