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Actualités mars 2022 - Guerre en Ukraine - Peut-on interrompre l'exécution des contrats en cours pour Force Majeure?

Actualités mars 2022 - Guerre en Ukraine - Peut-on interrompre l'exécution des contrats en cours pour Force Majeure?

Rappel :

Depuis fin février, la guerre en Ukraine - en dehors du désastre humanitaire qu'elle engendre et qui doit tous nous préoccuper au premier chef - commence également à avoir des répercussions sur le commerce international, du fait de l'adoption, depuis quelques jours par l'Union Européenne et les Etats-Unis, de sanctions internationales à l'encontre de la Russie.

Outre le gel des avoirs russes, les différentes sanctions internationales frappent également les exportations et importations de marchandises à destination ou en provenance de la Russie et des régions du Dombass, et concernent explicitement, pour le moment, les produits en lien avec des secteurs stratégiques et sensibles (tels que l'armement, l'aéronautique, les télécommunications et l'énergie....). Les mesures de rétorsion à l'encontre de la Russie ne sont probablement pas terminées, l'adoption d'un quatrième "paquet" de sanctions étant a priori imminente...

Pour autant, les services internationaux de transport et de logistique commencent à se paralyser, les routes vers l'Ukraine et la Russie se ferment progressivement, ce qui va nécessairement impacter le transport en général des marchandises à destination ou en provenance de cette région.

La question qui peut se poser est la suivante : dans ce contexte géopolitique très grave et instable et face à l'impossibilité (voire la grande difficulté) d'exécuter le contrat conclu avec un fournisseur ou un client ukrainien ou russe, l'exportateur ou importateur français peut-il invoquer un cas de Force Majeure pour suspendre l'exécution de ses obligations contractuelles et éviter la mise en cause de sa responsabilité?

Ce qu’il faut retenir :

Pour rappel, et en raisonnant uniquement en vertu du droit français (article 1218 du code civil), la "Force Majeure" permet à un cocontractant de s'exonérer de toute responsabilité pour inexécution contractuelle s'il est "empêché" d'exécuter ses obligations contractuelles en raison d'un évènement (i) "échappant au contrôle du débiteur" (ii) "qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat" et (iii) "dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées".

Si l'évènement en question réunit les trois conditions cumulatives précitées et que l'empêchement est temporaire (ce que nous espérons tous dans le contexte actuel), l'exécution des obligations est automatiquement suspendue.

En l'occurrence, l'état de guerre en Ukraine et les sanctions internationales adoptées contre la Russie nous semblent pouvoir, à certains égards, constituer un évènement de "Force Majeure" au sens de l'article 1218 du code civil, s'agissant en tout cas des contrats conclus probablement jusqu'au 20 février 2022 ; à condition toutefois que ces circonstances empêchent véritablement le cocontractant d'exécuter ses obligations contractuelles (ce qui pourrait être discuté si les sanctions internationales n'interdisent pas spécifiquement l'import-export des marchandises contractuelles concernées).

Que faire en pratique ?

Pour un contractant lié à un partenaire ukrainien ou russe empêché d'exécuter ses obligations contractuelles en raison de la crise géopolitique actuelle, il est recommandé (afin d'éviter toute mise en cause de sa responsabilité) :

  • de regarder précisément, dans son contrat:

1) quelle est la loi applicable (le raisonnement précédent n'étant transposable que si la loi française s'applique - cela étant, bien d'autres systèmes juridiques ont un concept équivalent à la "Force Majeure" qui pourra, le cas échéant, être invoqué selon la loi applicable.

2) si une clause spécifique à la "Force Majeure" existe. Si une telle clause n'existe pas et que la loi française est choisie, l’article 1218 du code civil pourra s'appliquer par défaut (ou après vérification le concept équivalent prévu, le cas échéant, par la loi étrangère)

  • de notifier, par écrit dans tous les cas et très rapidement à son cocontractant la survenance de l'évènement constitutif de "Force Majeure". En cas de clause dédiée, il conviendra de suivre scrupuleusement les modalités de notification prévues dans la clause.

Il est envisageable également que le contractant ne soit pas littéralement "empêché "d'exécuter le contrat mais seulement en grande difficulté pour l'exécuter. Dans ce cas de figure, l'application de l'article 1218 du code civil pourrait être compromise, dans la mesure où cet article n'envisage que les évènements "empêchant" l'exécution des obligations contractuelles.

D'où l'importance de rappeler ici qu'une clause contractuelle de "Force Majeure" peut toujours être aménagée, particulièrement en B2B, et qu' il est toujours possible de prévoir, au sein de cette clause, une définition de la "Force Majeure" et un champ d'application plus étendus pouvant ainsi permettre de s'exonérer de sa responsabilité en cas d'inexécution contractuelle, sans avoir à démontrer que l'on a été "empêché" d'exécuter, au sens restrictif entendu par l'article 1218 du code civil.

Après la pandémie de la Covid 19, la guerre en Ukraine remet de nouveau en avant l'importance d'une rédaction attentive de la clause de "Force Majeure" dans les contrats, en particulier dans le contexte du commerce international avec des pays pouvant présenter des risques d'instabilité politique ou financière.

Sarah Temple-Boyer

Avocat

Publié le 02/03/2022