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Actualités avril 2021: deux arrêts intéressants quand on est poursuivi pour rupture brutale d'une relation commerciale établie

Actualités avril 2021: deux arrêts intéressants quand on est poursuivi pour rupture brutale d'une relation commerciale établie

Rappel : D'après l’article L.442-1 - II du Code de commerce (ancien article L 442-6, I, 5°) : “Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Ce qu’il faut retenir : Les deux arrêts remarqués consacrent deux arguments communément utilisés pour faire échec à l’action en rupture brutale d’une relation commerciale établie, à savoir :

  • le bien-fondé de la rupture en raison du manquement de l’autre partie à ses obligations
  • l’absence de relation commerciale établie du fait du recours fréquent à des appels d’offres
  • Cour d’appel de Paris, pôle 05, 4ème chambre, 24 mars 2021, Promod c/ Paris Première,  n°19-15.565 : Le 24 mars dernier, la Cour d’Appel de Paris a jugé, au détriment d’un fournisseur de la société Promod, que la rupture qui lui avait été infligée par cette dernière était justifiée en raison des manquements particulièrement graves  du fournisseur à la charte éthique imposée par Promod à tous ses fournisseurs et considérée déterminante pour le maintien de ces relations.

La 4ème chambre avait, en 2019, rendu un arrêt similaire (Cour d’appel de Paris, 13 mars 2019, Monoprix, n°17-21.477) ; en l’espèce, la société Monoprix avait rompu sans préavis des relations commerciales établies de longue date, pour manquement d’un de ses fournisseurs aux règles applicables en matière sociale et éthique. La Cour d’appel de Paris avait alors considéré la faute comme revêtant une gravité suffisante pour permettre la résiliation sans préavis conformément à l'ancien article L.442-6 I, 5° du code de commerce (devenu depuis l’article L.442-1 - II du même code).

Quels enseignements, en pratique ?

Pour bon nombre d’entreprises, les clauses de « conformité » et d’adhésion aux chartes éthiques, restent des « clauses de style » ne faisant pas l’objet de sanction particulière. Cet arrêt prouve qu’il n’en est rien et que le non-respect d’une clause de « conformité » suffit à caractériser un manquement grave justifiant une rupture à effet immédiat de la relation, sans que la victime d’une telle rupture ne puisse prétendre à aucun recours.  Attention donc aux clauses de « conformité » au moment de la négociation des contrats.

  • Cour d'appel de Paris, 15 avril 2021, Gervais Transports c/ Hasbro, n° 18-15899: Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Paris a retenu que le recours régulier à des appels d'offres est de nature à conférer à la relation commerciale, quelle que soit sa durée, “une précarité exclusive de toute rupture brutale”. En l’espèce, depuis vingt ans, la société Hasbro et la société de transports Gervais collaboraient à l'issue d’appels d'offres menés par Hasbro. Cette relation s’est cependant arrêtée en 2016, lorsque Hasbro a notifié à la société Gervais que celle-ci n’était pas retenue pour des raisons de compétitivité tarifaire. La société de transport s’estime alors victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l’ancien article L.442-6, I, 5°, puisque les appels d’offres aboutissaient systématiquement au renouvellement de son contrat. Or, il est de jurisprudence constante (Cour de cassation, 18 octobre 2017, n°16-15.138) que la “relation nouée sur la base d’appels d’offres systématiques est, par essence, précaire”. La Cour de Paris justifie notamment cette jurisprudence par l'existence d’un aléa, né de la mise en compétition systématique, qui ne permettait pas au partenaire de croire légitimement en la pérennité des relations.

Quels enseignements, en pratique ?

La longévité de la relation (en l’occurrence 20 ans) bâtie et reconduite à l’issue d’appels d’offres systématiques n’en fait pas pour autant une « relation commerciale établie » au sens de l’article L.442-1-II du code de commerce ; le recours à l’appel d’offres caractérisant par principe la précarité d’une relation.

 

Sarah Temple-Boyer                                                                  Ambre Boyer

  Avocat                                                                                        Stagiaire

Publié le 06/07/2021