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Actualités avril 2019: 430 clauses jugées illicites et abusives ! qui dit mieux?

Actualités avril 2019: 430 clauses jugées illicites et abusives ! qui dit mieux?

Rappel: Facebook a, semble-t-il, été bien inspirée de modifier ses conditions générales d’utilisation récemment, ce qui lui a valu un satisfecit de la Commission européenne : le Tribunal de Grande Instance de Paris a déclaré, par un jugement-fleuve (presque 300 pages !) en date du 9 avril 2019 (cf. fichier joint), 430 des clauses de ses conditions générales illicites et abusives (seules quelques clauses énumérées à la fin du jugement sont épargnées).

Ce qu’il faut retenir :

Application de la loi française en dépit du choix contractuel de la loi de l’Etat de californie

  • Le Tribunal juge le droit de la consommation français (et donc la réglementation protectrice sur la vente à distance et sur les clauses abusives) applicable suivant le raisonnement imparable suivant : (i) l’activité du réseau social Facebook est dirigée vers la France ce qui rend la loi française applicable (article 6.1 du Règlement Rome I) ; (ii) le contrat conclu entre Facebook et l’utilisateur français est un contrat de consommation en ce qu’il lie un professionnel (Facebook) et une personne physique agissant en dehors de son activité commerciale (qui des pages professionnelles ?) et qu’il est conclu à titre onéreux. A cet égard et en se basant sur la définition du contrat à titre onéreux (article 1107 nouveau du code civil), le Tribunal considère que même si en apparence gratuit, le contrat de « réseautage social » n’est pas dépourvu de contrepartie au profit de Facebook : « la fourniture de données collectées gratuitement, puis exploitées et valorisées par la société Facebook doit s’analyser en un « avantage » au sens de l’article 1107 du code civil. Cet avantage constitue la contrepartie du service de réseau social que la société Facebook procure à l’utilisateur, de sorte que le contrat conclu avec Facebook est un contrat à titre onéreux ».
  • Le Tribunal juge ensuite la loi française Informatique & Libertés applicable : (i) du fait de l’existence de Facebook France considérée comme un établissement stable ; (ii) en raison de l’existence d’un traitement de données personnelles caractérisé par la présence de données personnelle sur les pages du site Internet de Facebook et (iii) compte tenu du fait que l’ « affichage simultané sur la page d’accueil du site Facebook de données à caractère personnel de l’utilisateur et de publicités liées à son activité confirment que la vente d’espaces publicitaires conduite par Facebook France constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de la loi Informatique & Libertés » qui est, de ce fait, applicable.

Inventaire « à la Prévert » des clauses jugées abusives et illicites

Les clauses sanctionnées se trouvent précisément dans quatre des documents de Facebook constituant les conditions générales d’utilisation, à savoir la « Déclaration des droits et responsabilités », la « Politique d’utlisation des données », les « Standards de la communauté Facebook » et « Cookies, pixels et technologies similaires »

Sont notamment jugées illicites et abusives :

  • la clause prévoyant la primauté de la version anglaise des conditions générales sur la version française en cas de conflit ainsi que tous les renvois, via des liens hypertextes, à des documents en loi anglaise (au regard de la loi du 4 aoûit 1994, dite « loi Toubon ») ;
  • la clause prévoyant que l’utilisateur, en s’inscrivant sur Facebook, accepte la « Déclaration des Droits et des Responsabilités » (DDR), la politique d’utilisation des données, l’Utilisation des Cookies (accessibles par lien hypertexte mais sans invitation formelle de cliquer) alors que Facebook ne démontre pas avoir « contraint » l’utilisateur à accéder à ces documents avant son inscription sur son site ;
  • la clause par laquelle l’utilisateur concède une licence mondiale à Facebook, et potentiellement sans limitation de durée, sur le contenu qu’il publie ;
  • la clause selon laquelle l’utilisateur est présumé accepter que les contenus qu’il supprime puissent persister dans des copies de sauvegarde ;
  • la clause qui laisse croire à l’utilisateur qu’il peut contrôler le caractère « public ou non » des contenus et informations qu’il publie via un paramétrage de confidentialité alors que certaines données de l’utilisateur échappent à un tel paramétrage ;
  • la clause par laquelle Facebook s’octroie un droit d’exploiter les commentaires ou suggestions de l’utilisateur, sans précision quant au contenu concerné et sans contrepartie ;
  • la clause par laquelle Facebook s’exonère de toute responsabilité quant au caractère illicite du contenu publié par l’uilisateur et celle par laquelle Facebook laisse croire à l’utilisateur qu’il a la charge de la sécurité de ses données personnelles, alors que Facebook ne peut se soustraire à cette responsabilité en sa qualité de responsable de traitement ;
  • la clause par laquelle Facebook se réserve le droit unilatéral de supprimer ou désactiver un compte utilisateur ainsi que de supprimer tout ou partie des services ;
  • la clause par laquelle l’utilisateur donne son accord, lorsqu’il modifie ses coordonnées mobiles) et « tous les droits dont les internautes ont besoin pour synchroniser sur leur appareil les informations auxquelles ils ont accès sur Facebook » ;
  • la clause par laquelle l’utilisateur est présumé adhérer aux « conditions de paiement » accessibles via un lien hypertexte mais sans remise effective desdites conditions sur support durable préalablement à à la conclusion du contrat ;
  • les clauses par lesquelles Facebook est autorisé par l’utilisateur à exploiter ses données, notamment à des fins publicitaires, sans l’informer précisément de la finalité du traitement et sans avoir recueilli son consentement préalable ;
  • la clause par laquelle l’utilisateur est présumé accepter les mises à jour, sans qu’il ait été informé qu’il peut s’y opposer ;
  • la clause par laquelle l’utilisateur est présumé avoir donné son consentement implicite aux modifications apportées aux clauses contractuelles, par le seul fait de poursuivre son utilisation des services après modification ;
  • la clause par laquelle Facebook écarte sa responsabilité dans tous les cas de dysfonctionnement des prestations fournies à l’utilisateur ;
  • la clause par laquelle l’utilisateur doit indemniser Facebook des conséqwuences de ses « agissements » (sans considération du caractère fautif ou non de ces « agissements »)
  • la clause qui prévoit la compétence territoriale exclusive des juridictions californiennes ;
  • la clause qui prévoit l’application exclusive de la loi californienne alors que la loi française est applicable « dès lors que le site est accessible en langue française » ;
  • l’absence de clause de médiation obligatoire prescrite par lles articles L.612-1 1° et 2° du code de la consommation ;
  • l’absence de définition et qualification des données à caractère personnel dans les conditions d’utilisation, alors que les données collectées sont des données à caractère personnel et que Facebook en est le responsable de traitement ;
  • les clauses par lesquelles Facebook s’ arroge un droit unilatéral de/d’ (i) décider de la portée de l’invalidité d’une clause, (ii) apprécier l’opportunité et la portée de la sanction en cas d’inescéution du contrat, (iii) céder les droits et obligations de l’utilisateur, (iv) se réserver « tous les droits qui ne sont pas explicitements accordés à l’utilisateur » ;

Le moins que l’on puisse dire enfin est que les clauses de Facebook, passées au crible par le Tribunal, sont loin d’être conformes à la loi Informatique & Libertés et, a fortiori au RGPD. Sont notamment sanctionnées : l’imprécision et la contradiction des informations données dans les différents documents constituant le « socle » contractuel, l’absence d’informations quant à la collecte et au traitement des données à caractère personnel , notamment via le dépôt de cookies, l’absence de consentement de l’utilisateur au traitement de ses données et à l’envoi de publicités ciblées, l’absence d’informations variées (sur la conservation des données collectées, la finalité du traitement, la collecte de données sensibles, les transferts de données hors Union Européenne…)

Condamnation

La condamnation au retrait des clauses invalidées n’est plus véritablement une sanction au jour du délibéré, ces dernières ayant déjà été supprimées par Facebook depuis un certain temps. Les autres sanctions prononcées par le Tribunal sont, en revanche, bien effectives :

  • Facebook devra faire figurer un lien sur la page d’accueil de son site donnant accès à l’intégralité du jugement pendant 3 mois sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard
  • Facebook devra veser 30.000 euros de dommages-intérêts à l’association agréée de consommateurs UFC QUE CHOISIR ayant initiée la procédure et 20.000 euros pour les frais de procédure engagés par elle.

Quels enseignements, en pratique ?

  • Dès lors qu’une société (même étangère) dirige son activité vers un utilisateur français pouvant être qualifié de consommateur, le droit de la consommation (relevant de l’ordre public de protection) s’applique : le choix d’une loi étrangère (même d’un Etat tiers à l’Union Européenne) ne suffira pas à s’y soustraire. On peut émettre une réserve dans le cas d’un utilisateur ayant créé une « page professionnelle » sur Facebok dont la qualité de consommateur pourrait être discutée et qui pourrait dès lors ne pas bénéficier des règles protectrices du code de la consommation français.
  • Ce jugement est également très instructif quant au niveau d’exigence  (très élevé) attendu s’agissant de l’obligation d’information précontractuelle incombant à un professionnel (de surcroît « responsable de traitement » de données personnelles) à l’égard d’un client consommateur (dans un rapport de vente à distance mais pas seulement). Attention notamment aux clauses qui ne « contraindraient » pas suffisamment le consommateur (pour le moins infantilisé) à consulter l’information précontractuelle an amont de sa commande ou à celles qui manqueraient de clarté ou de précision!

                                                                                          par Sarah Temple-Boyer

                                                                                                 Avocat

Fichier joint : jugement-facebook.pdf

Publié le 23/04/2019