Menu

Actualités: EXPLOITANT INDUSTRIEL - RESPONSABILITE ENVIRONNEMENTALE

Actualités: EXPLOITANT INDUSTRIEL - RESPONSABILITE ENVIRONNEMENTALE

Le triste sort du dernier exploitant du site pollué : responsable même si non coupable                                                                                                                                                                                                  

La jurisprudence en droit de l’environnement n’est décidément pas favorable à l’exploitant d’un site industriel pollué. Aux termes de l’arrêt du 2 avril 2008 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le dernier exploitant d’un site industriel doit, seul, assumer financièrement les travaux de dépollution et ce, quand bien même la pollution de ce site ne lui serait pas directement imputable.

Dans cette affaire, il était parfaitement clair entre le propriétaire (SCI la Réal) et le locataire (la société Reno, devenue ensuite Interfertil) que la pollution du site donné à bail en 1989 préexistait à l’entrée du locataire dans les lieux. Ce dernier avait néanmoins accepté d’entreprendre, après avoir donné congé en 1994, les travaux de dépollution qui ont finalement débuté en 2001. Le propriétaire a alors demandé en justice la condamnation de son locataire au paiement de dommages-intérêts (pour un montant avoisinant les 2,5 millions d’euros) en réparation du préjudice causé par le retard apporté à la dépollution et l’immobilisation corrélative des locaux durant cette période. Le locataire a, de son côté, sollicité la condamnation de son bailleur au remboursement des frais de dépollution engagés.

Au soutien de sa demande reconventionnelle, le locataire invoquait le fait qu’il ne pouvait être tenu de restituer le site loué dans un meilleur état que celui où il l’avait reçu au moment de son entrée dans les lieux: il s’était installé dans un site déjà pollué (aucune dépollution n’ayant été entreprise lors de son entrée en jouissance) et n’avait donc pas à assumer financièrement les frais de dépollution, à sa sortie du site.

Le raisonnement du locataire pouvait sembler juste, la pollution du site ne lui étant aucunement imputable. Et pourtant, dans sa décision du 2 avril 2008, la Cour de cassation dissocie clairement la question de l’imputabilité de la pollution de celle de l’obligation de dépollution et retient, à cet égard, la responsabilité pleine et entière du locataire « dernier exploitant ».

Cette solution jurisprudentielle s’impose essentiellement pour deux raisons en l’espèce : d’une part, le locataire étant incontestablement le « dernier exploitant » du site, il lui incombait, en vertu des dispositions légales en la matière, d’entreprendre les travaux de dépollution (1) ; d’autre part et en l’absence de clause spécifique dans le bail, le locataire ne pouvait espérer associer le propriétaire aux coûts des travaux de dépollution (2).

1. Sa qualité incontestée de « dernier exploitant » condamne le locataire à assumer les coûts de dépollution

Dans son arrêt du 2 avril 2008, la Cour de cassation relève que « aux termes des dispositions de la loi du 19 juillet 1976[1], la charge de la dépollution d’un site industriel incomb[e] au dernier exploitant et non au propriétaire du bien pollué ».

La solution est sévère surtout dans l’hypothèse où ce dernier exploitant n’est pas à l’origine de la pollution à traiter et qu’il ne s’est, par ailleurs, pas engagé en amont à prendre à sa charge le passif environnemental du site.

Le « dernier exploitant » s’entend de celui qui, arrivé au bout de la chaîne des exploitants s’étant succédé sur le même site, se substitue à son prédécesseur en reprenant la même exploitation ; la substitution entraîne automatiquement la transmission au nouvel exploitant de tous les droits et obligations de son prédécesseur, parmi lesquelles l’obligation de dépollution au sens de l’article L. 512-17 du Code de l’environnement.

Le dernier exploitant ne supporte ce lourd héritage qu’à la condition de s’être effectivement « substitué » à l’exploitant qu’il remplace. Il est, en effet, toujours loisible au dernier exploitant-locataire de contester s’être substitué à l’ancien exploitant (en invoquant notamment l’absence de lien avec la personne et l’activité de son prédécesseur à l’origine directe de la pollution du site).

La jurisprudence administrative semble dans ce cas[2] retenir que la dépollution n’incombe pas au dernier exploitant dans la mesure où l’obligation de dépollution « n’a pas pour objet ou pour effet d’imposer à l’exploitant, dans le cadre de la remise en état du site, de remédier à des dommages ou nuisances dépourvus de tout lien avec l’exploitation ». Dans cette espèce, les juges administratifs ont considéré qu’ « en se fondant uniquement sur la qualité de dernier exploitant de GDF pour lui ordonner des mesures visant à faire cesser des nuisances sans lien direct avec l’exploitation du site », le préfet a commis une erreur de droit.

Encore faut-il pour parvenir à une telle décision que le dernier exploitant en cause conteste fermement s’être substitué à son prédécesseur. En l’espèce, le locataire n’avait pas estimé utile d’avancer cet argument. Reconnaissant par là-même être le successeur, et donc l’héritier, des différents exploitants du site industriel pollué, il ne pouvait que se voir condamner à l’obligation de dépollution du site, en sa qualité de « dernier exploitant » substitué.

2. Faute de clause prévue dans ce sens au bail, le locataire ne peut pas obtenir du propriétaire le remboursement ou la participation de ce dernier aux frais de dépollution

Dans l’arrêt rapporté, le locataire se voit également débouté de sa demande, formée à titre reconventionnel, et tendant à voir condamner le propriétaire à lui rembourser les frais de dépollution engagés au motif que ce dernier aurait repris un bien immobilier totalement dépollué, suite aux travaux effectués par le locataire auquel ne pouvait être imputé la pollution d’origine.

Sans plus de développements à cet égard, la Cour de Cassation semble rejoindre la Cour d’appel de Nîmes laquelle avait retenu « qu’une telle créance de remboursement n’aurait pu procéder que d’une convention entre bailleur et preneur » et « qu’aucun avenant au bail n’avait stipulé que la charge des frais de dépollution serait transférée au bailleur ».

Il semble pourvoir être déduit de cette position commune aux juges du fond et à la Cour de cassation que le locataire aurait pu faire supporter à son propriétaire la charge des frais de dépollution, en prévoyant une clause spécifique à cet effet dans le bail ; ce qui en l’espèce n’avait pas été fait.

L’arrêt du 2 avril 2008 de la Cour de cassation, tout en réservant un sort peu enviable au locataire-dernier exploitant, invite aussi les juristes que nous sommes à la réflexion aux fins d’améliorer, par voie conventionnelle, la situation de l’exploitant de site industriel. Il conviendra de s’attacher, dans le bail commercial, aux clauses relatives au congé et/ou aux conséquences de la fin du bail, dans le souci d’une meilleure protection de l’exploitant ; si ce dernier peut difficilement se soustraire à l’obligation légale de dépollution (sauf à contester s’être substitué à son prédécesseur responsable de la pollution), il lui est possible d’aménager, à tout le moins conventionnellement, la possibilité de recouvrer auprès de son bailleur les frais de dépollution qu’il aura exposés.

 


[1] Il s’agit de la loi relative aux installations classées telle que codifiée aux articles L.511-1 et suivants du code de l’environnement.

[2] Cf. arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles du 22 janvier 2008

Publié le 10/09/2015