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Actualités : COPIE PRIVEE ET CYBERCOMMERCE

Actualités : COPIE PRIVEE ET CYBERCOMMERCE

L'information du consommateur comme rempart aux distorsions de concurrence et à la fuite des redevances?                                                                                                                                                                                                                        

La multiplication des achats de supports d’enregistrement vierges (téléphone, disque dur externe ou multimédia, CD-R, DVD-R, clef USB, carte mémoire, GPS, tablette, etc) par les consommateurs français a récemment révélé le caractère profondément inadapté de la législation française sur la rémunération pour copie privée.

Les distributeurs français de tels supports ainsi que la société en charge de la perception de la redevance copie privée pour le compte des auteurs, artistes-interprètes et producteurs (COPIE France) en sont d’ailleurs les premières victimes.

Le Code de la propriété intellectuelle prévoit la possibilité pour un consommateur de faire une copie à usage privé d’une œuvre (notamment sonore ou audiovisuelle) à condition qu’une rémunération compense le préjudice causé par un tel droit de reproduction à l’auteur de l’œuvre ou ses ayants-droit. Aux termes de l’article L.311-4 dudit code, cette rémunération à vocation indemnitaire doit être versée « par le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires ». 

Pour satisfaire à cette obligation de versement, la rémunération est prélevée à la source et le fabricant ou le distributeur français répercutent directement la taxe dite « Sacem » sur le prix des produits (dans sa catégorie, la taxe française est l’une des plus élevées d’Europe[1]).

En revanche, les distributeurs étrangers qui ne se considèrent pas comme redevables de la rémunération pour copie privée proposent, via Internet, des supports vierges d’enregistrement à un prix défiant toute concurrence (ex : 15 euros les 100 CD vierges contre 60 euros en France) étant précisé qu’en outre, le consommateur français n’est nullement informé de ce qu’il devient lui-même, en sa qualité de « personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires », redevable de ladite rémunération ; faute de s’acquitter d’un tel versement, le consommateur encourt trois ans d’emprisonnement et une amende de 300.000 euros par enregistrement (article L.335-4 du Code de la propriété intellectuelle).

Les conséquences de ce contournement pèsent donc sur les fabricants et distributeurs français lesquels, tenus de facto d’appliquer des prix supérieurs pour tenir compte de la taxe dite « Sacem », ne peuvent rivaliser avec les distributeurs étrangers. Les sociétés d’auteurs françaises, incapables matériellement de contrôler le versement de la redevance par chaque cybernaute français, accusent également des pertes de revenus considérables. En outre, il est difficile de blâmer les consommateurs français de ne pas payer ladite redevance, obligation qu’ils ignorent pour la plupart. Le préjudice économique en résultant est colossal[2].

  • L’obligation d’informer le consommateur : remède aux distorsions de concurrence ? 

Après des années de combat judiciaire acharné, la Fédération française du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) a réussi à imposer ses vues à travers l’un de ses membres les plus actifs, la société Rueducommerce SA, laquelle a obtenu la condamnation, pour concurrence déloyale et distorsion de concurrence, d’un certain nombre de sociétés étrangères occultant sciemment dans leurs tarifs en ligne à destination des consommateurs français la mention de la taxe copie privée[3].

De même, la Cour d’appel de renvoi, dans un arrêt du 17 novembre 2010[4] a accordé à Rueducommerce SA 100.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial subi, estimant que les cybercommerçants, mêmes situés à l’étranger, ne pouvaient se soustraire au droit français de la consommation, ni à l’existence de la redevance pour copie privée[5].

Plus remarquable encore est la condamnation (au paiement d’un millions d’euros de dommages-intérêts) obtenue, en 2011[6], par Rueducommerce SA à l’encontre des sociétés de perception COPIE France et SORECOP (désormais fusionnées au sein de COPIE France) reconnues coupables de « négligence fautive à un double niveau » à l’égard des cybercommerçants français: d’une part, en n’exécutant «pas leur obligation de percevoir la rémunération pour copie privée due par les consommateurs qui s’approvisionnent auprès des cybercommerçants étrangers » ; et d’autre part, en ne prenant « aucune mesure pour harmoniser le montant de la copie privée avec les autres législations européennes afin de lutter contre la distorsion de concurrence générée par l’existence du marché gris ».

La société COPIE France a déclaré qu’elle interjetterait appel de ce jugement.

La loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée est enfin venue consacrer cette obligation d’information au consommateur, en insérant un article L.311-4-1 aux termes duquel : « Le montant de la rémunération prévue à l’article L. 311-3 propre à chaque support est porté à la connaissance de l’acquéreur lors de la mise en vente des supports d’enregistrement mentionnés à l’article L. 311-4. Une notice explicative relative à cette rémunération et à ses finalités, qui peut être intégrée au support de façon dématérialisée, est également portée à sa connaissance ». 

Les modalités d’application de ces dispositions (à savoir le montant de la rémunération par support ainsi que la teneur de la notice explicative) seront précisées par un décret en Conseil d’Etat, sur la base du projet de texte élaboré par la DGCCRF. Il est prévu que ce décret en Conseil d’Etat soit adopté durant le second semestre 2013. Les auditions devant la DGCCRF sont actuellement en cours.

Il est ainsi raisonnable d’espérer que le consommateur, une fois dûment informé, du niveau de la redevance copie privée qu’il devra verser séparément à COPIE France en plus du prix d’achat, pourrait se raviser et renoncer à son achat sur des sites Internet étrangers. Décontenancé par les démarches qu’il aurait à entreprendre seul auprès des sociétés de perception, le consommateur pourrait préférer un prélèvement à la source, d’application plus simple, applicable à l’occasion d’un achat auprès d’un distributeur français ; ce qui pourrait avoir pour effet de remédier partiellement aux distorsions de concurrence.

  • L’information du consommateur permettrait-elle, pour autant, d’endiguer « la fuite » des redevances pour copie privée ? 

Pour autant, il n’est pas certain que, même parfaitement informé à l’occasion d’un achat auprès d’un cybercommerçant étranger, un consommateur français acquitte systématiquement la redevance correspondante.

Dans son jugement précité du 2 décembre 2011, le Tribunal de Grande Instance a estimé qu’un système de « pré-acquittement par les distributeurs » devait être préféré à une perception directe auprès des consommateurs, matériellement irréalisable.

Pour autant, la législation française n’envisage pas pour l’heure directement d’assujettir les cybercommerçants étrangers à la redevance copie privée.

N’en déplaise au législateur français, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne[7] devrait inciter les juridictions nationales à contraindre les cybercommerçants étrangers, commercialisant des supports vierges aux consommateurs français, à acquitter directement la taxe dite « Sacem ».

En effet, aux termes de cet arrêt, « il incombe à l’Etat membre ayant institué un système de redevance pour copie privée à la charge du fabricant ou de l’importateur de supports de reproduction d’œuvres protégées (…) de garantir que ces auteurs reçoivent effectivement la compensation équitable destinée à les indemniser de ce préjudice. À cet égard, la seule circonstance que le vendeur professionnel d’équipements, d’appareils ou de supports de reproduction est établi dans un État membre autre que celui dans lequel résident les acheteurs demeure sans incidence sur cette obligation de résultat. Il appartient à la juridiction nationale, en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la compensation équitable auprès des acheteurs, d’interpréter le droit national afin de permettre la perception de cette compensation auprès d’un débiteur agissant en qualité de commerçant ».

La rémunération pour copie privée a encore bien d’autres défis à relever : ayant perdu au moins 20% de ses recettes du fait de l’exonération des ventes de supports vierges à des fins professionnelles, l’attrait de la copie privée est sérieusement compromis par l’émergence du cloud computing…. l’assujettissement des grands acteurs du cloud computing à la redevance copie privée semble désormais à l’étude…

 


[1] Le taux français sur les CD vierges est 12 fois plus élevé que celui de l’Allemagne, 6 fois plus élevé sur les DVD vierges ; il est 2 fois plus élevé que le taux belge ou espagnol pour les deux types de support ; il est 2 fois et demi plus élevé que le taux des Pays-Bas sur les CD, 2 fois plus élevé sur les DVD.

[2] En faisant la comparaison entre ce qui a été collecté par les sociétés d’auteurs françaises et ce qui aurait pu être collecté au regard des ventes dans le pays considéré, les chiffres représentant la perte éprouvée parlent d’eux-mêmes : 25 % pour les CD, 40 % pour les lecteurs MP3 ou 57 % pour les DVD. En pratique, cela signifie que 40% des lecteurs MP3 vendus en France sont achetés à l’étranger ou via des circuits « parallèles » nus de toute rémunération pour copie privée. Et donc, que 40 % des taxes n’ont pas été collectées en France sur ces baladeurs soit 14,42 millions d’euros qui échappent à la SACEM et consorts.

[3] Cour de Cassation, Civ 2, 27 novembre 2008.

[4] Cour d’appel de Paris, 17 novembre 2010, Pôle 5, Chambre 4.

[5] Extraits de l’arrêt CA Paris 17, novembre 2010 : « considérant sur le fond quant à l’obligation d’information dans les conditions générales de vente que les sociétés implantées hors du territoire français sont soumises, lorsqu’elles ont une activité commerciale à destination du public français, aux obligations résultant du droit français de la consommation, spécialement des articles L.111-1 et L.121-18 du code de la consommation et de l’arrêté du 3 décembre 1987 aux termes duquel l’information sur le prix des produits ou des services doit faire apparaître, quel que soit le support utilisé, la somme totale, toutes taxes comprises, qui devra être effectivement payée par le consommateur ; que la redevance pour copie privée, dite taxe Sacem, est un élément du prix dès lors que le consommateur a l’obligation de la payer (…) la méconnaissance d’une obligation légale ayant une incidence sur la concurrence constitue un acte positif de concurrence déloyale ; qu’en l’espèce, les sociétés concernées ne pouvaient, ni en tout cas, ne devraient ignorer ni le droit français de la consommation, ni l’existence de la redevance pour copie privée (…) ». 

[6] Tribunal de Grande Instance de Nanterre, 6ème chambre, 2 décembre 2011.

[7] CJUE, C-462-09 du 16 juin 2011 « Opus Supplies ».

Publié le 26/08/2015