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Première application de la loi de blocage française ou quand la Cour de cassation consacre l’application exclusive de la Convention de La Haye contre les règles procédurales américaines (« Discovery ») (Juillet 2008)

Première application de la loi de blocage française ou quand la Cour de cassation consacre l’application exclusive de la Convention de La Haye contre les règles procédurales américaines (« Discovery ») (Juillet 2008)

Le juge américain, saisi par exemple d’une action en concurrence déloyale, a la possibilité d’ordonner, durant la phase d’investigation préalable, la communication de tous éléments de preuve et/ou informations considérés comme nécessaires à l’instruction du procès. Cette procédure, plus connue sous le nom de « discovery » ou « pre-trial discovery », autorise la collecte d’informations en dehors même des Etats-Unis et a, selon le droit fédéral, un effet coercitif envers toute personne américaine ou étrangère relevant de la compétence personnelle du juge américain. Pour plus de détails sur cette procédure, nous vous invitons à vous reporter à l’excellent article de nos confrères Shelby Grubbs et Jennifer Gowens (Miller & martin PLLC) intitulé « E-Discovery Under US Federal Rules of Civil Procedure », paru dans la E-news letter de l’été dernier.

  • L’objet de la loi de blocage française

Pour faire obstacle aux débordements extraterritoriaux de la procédure de « discovery » considérée comme intrusive, plusieurs Etats, dont la France, ont adopté des lois dites « de blocage » (en anglais, « blocking statutes »). C’est ainsi que le Parlement français a adopté la loi n°80-538 du 16 juillet 1980 (venue modifier la loi n°68-678 du 26 juillet 1968) relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères ; l’objectif principal de cette loi étant, lorsqu’un procès se déroule à l’étranger, que les procédures d’obtention de preuves prévues par le droit interne et/ou les conventions internationales (et notamment par la Convention de La Haye du 18 mars 1970) soient respectées en France.

Ainsi, l’article 1er bis de la loi de blocage française dispose que : « sous réserve des traités ou accords internationaux et des lois et règlements en vigueur, il est interdit à toute personne de demander, de rechercher ou de communiquer par écrit, oralement ou sous toute autre forme, des documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères ou dans le cadre de celles-ci » ; toute infraction aux dispositions de la loi de blocage étant passible d’une peine d’emprisonnement de six mois et/ou d’une amende de 18.000 euros (cf. Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000).

Ainsi, aux termes de la loi de 1980, seul le mode d’obtention des preuves tel que prévu par la Convention de La Haye (d’ailleurs ratifiée par les Etats-Unis dans les années 70) est admissible dans les contentieux internationaux. Toujours est-il que la loi de blocage française, faute d’application, était regardée, jusque-là, par les juridictions américaines comme un « tigre de papier » et comme un obstacle très théorique à la procédure de « Discovery » américaine ; et ce d’autant que la doctrine et les juridictions américaines ne partagent pas la conception moniste de certains pays Européens (comme l’Allemagne) concernant l’applicabilité exclusive des principes de la Convention de la Haye relative à l’administration de la preuve dans le contexte d’un contentieux international.

En effet, dans une affaire « Société Nationale Industrielle Aérospatiale v. United States District Court for the Southern District of Iowa » (15 juin 1987), la Cour Suprême américaine a jugé que la Convention de la Haye du 18 mars 1970 ne définissait pas de manière exclusive ou impérative les procédures à suivre pour obtenir des documents et des renseignements sur le territoire d’un Etat contractant étranger. C’est donc par là-même reconnaître, en parallèle du système d’administration de la preuve instauré par la Convention de la Haye, l’applicabilité des règles procédurales américaines pour ordonner la communication de preuves matérielles localisées à l’étranger.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 décembre 2007 lequel condamne pour la première fois un avocat à une amende de 10.000 euros pour violation de la loi de blocage française de 1980.

  • L’arrêt de la Cour de Cassation du 12 décembre 2007

C’est dans le cadre du rachat, dans les années 90, de la compagnie d’assurances américaine Executive Life par le consortium français (constitué notamment par le Crédit lyonnais et la MAAF) que s’inscrit l’arrêt de la Cour de cassation. Le commissaire aux assurances de Californie (ie. California Insurance Commissionner), suspectant une acquisition frauduleuse, avait initié une enquête à l’encontre du consortium français pour découvrir si ce dernier, cessionnaire majoritaire, n’avait pas délibérément caché son identité, au moment des candidatures pour le rachat d’Executive Life et ce, au mépris de la loi californienne en vigueur (relative à la détention en capital par des étrangers de compagnies d’assurance).

En avril et décembre 2000, la juridiction américaine saisie de l’action a, sur le fondement de la Convention de la Haye, requis de la société MAAF qu’elle produise un certain nombre de documents localisés en France et relatifs à la prétendue acquisition frauduleuse. C’est dans ce contexte que le conseil américain du commissaire aux assurances de Californie a choisi en France un correspondant chargé de mener des investigations pour son compte et de collecter des preuves de la participation active du conseil d’administration de la MAAF à la prétendue acquisition frauduleuse. L’avocat correspondant français s’est notamment rapproché à cet égard d’un ancien membre du conseil d’administration pour tenter d’obtenir, grâce à une ruse, l’information recherchée.

La MAAF a alors porté plainte à l’encontre de l’avocat français pour violation de la loi de blocage de 1980, ce qui lui a valu une condamnation de la Cour d’appel de Paris à une amende de 10.000 euros ; arrêt confirmé ensuite par la Cour de Cassation aux motifs :

  • d’une part, que « les renseignements recherchés sur les circonstances dans lesquelles le conseil d’administration de la MAAF a pris ses décisions sur le rachat de la société Executive Life sont d’ordre économique, financier ou commercial et tendent à la constitution de preuves dans une procédure judiciaire étrangère ».
  • d’autre part, que l’avocat français chargé de soutirer de telles informations était « dépourvu de tout mandat autorisé au sens de cette convention » (ie. La Convention de la Haye).

En effet, il doit être rappelé que la Convention de la Haye énumère limitativement les personnes dûment habilitées à collecter les preuves recherchées. Ont seuls qualité pour le faire les agents diplomatiques ou les « commissaires » indépendants désignés le plus souvent par l’autorité judiciaire requérante (en l’occurrence la juridiction américaine). S’il est vrai qu’en théorie, l’identité des  « commissaires » est relativement indifférente (aux Etats-Unis, il s’agit le plus souvent d’avocats), il n’en demeure pas moins que la France s’oppose généralement à ce que l’avocat d’une des parties en cause soit désigné à ce titre (et ce, essentiellement, pour respecter le principe consacré du contradictoire). Or, en l’espèce, l’avocat chargé de recueillir les informations sensibles était mandaté par le conseil américain de la partie requérante (le commissaire aux assurances de Californie). C’est ce que la Cour de Cassation, à l’instar de la Cour d’appel de Paris, n’a pas admis en l’occurrence.

Il sera relevé, en revanche, que le tribunal fédéral de Californie a bien délivré, en 2000, des commissions rogatoires civiles internationales, sur le fondement de la Convention de La Haye, tendant à la communication par la MAAF de documents se rapportant au litige. Ce n’est donc pas sur le fondement de la procédure de « Discovery » que la juridiction américaine a ordonné la production d’éléments de preuve mais bien dans le respect des principes de la Convention de la Haye. Ce qui est donc surtout condamné ici est le défaut de qualité à agir (en tant que « commissaire indépendant ») de l’avocat correspondant.

  • Les enseignements de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2007.

L’objet premier de l’arrêt de la Cour de cassation est de consacrer la primauté des règles d’administration de la preuve instaurées par la Convention de la Haye sur les règles procédurales internes (notamment américaines). Les juridictions américaines pourront plus difficilement désormais ignorer la loi française de blocage au motif que cette dernière n’aurait jamais été appliquée. Il se pourrait même que l’arrêt de la Cour de cassation fasse des émules et que d’autres pays qui ont également adopté des lois de blocage (comme la Suisse, le Japon, la Chine, le Canada, l’Australie…) décident d’en faire application.

L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation s’inscrit également dans la droite ligne de la réglementation européenne relative au traitement et à la libre circulation des données à caractère personnel laquelle peut faire obstacle au transfert automatique des données informatiques ordonnées par les juridictions américaines dans le cadre de la Federal Rule of Civil Procedure 26 (relative à la « Digital Discovery »).

La directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 (entrée en vigueur en octobre 1998)[1] – si elle ne permet aucune restriction à la libre circulation des données à caractère personnel entre Etats membres – interdit le transfert de données personnelles vers un pays tiers qui n’offre pas un « niveau de protection adéquat ou suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes » en comparaison de la protection garantie par les Etats membres (article 25 de la Directive), sauf exceptions limitativement énumérées.

La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) – chargée de la protection des données personnelles sur le territoire français – aurait d’ailleurs récemment attiré l’attention du gouvernement français sur les demandes inflationnistes de transfert massif et inquiétant, selon elle, de données à caractère personnel émanant des autorités américaines.

Enfin, le troisième enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation tient au risque réel (et non plus théorique) d’être sanctionné pour violation de la loi de blocage française. L’existence d’un tel risque peut désormais servir d’excuse légale aux parties étrangères pressées de fournir des informations par les juridictions américaines dans le strict cadre d’une procédure de « discovery ». Il est vrai cependant que la partie ainsi sollicitée devra faire face au dilemme cornélien de risquer d’être condamnée soir par la juridiction américaine saisie (en refusant de coopérer dans le cadre de la « discovery ») soit par une juridiction française (pour violation de la loi de blocage).

Résoudre un tel dilemme en se préservant du risque – qui n’est plus théorique, répétons-le – de condamnation pour violation de la loi de blocage de 1980 requiert de se tourner vers un Conseil local susceptible d’apprécier les modalités de transfert d’informations économiques admissibles tant u sens de la Convention de la Haye que de la doctrine et jurisprudence internes.


[1] Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Publié le 20/08/2015